Uchiki n’est pas quelqu’un que l’on remarque. Elle est discrète. Furtive. Presque invisible. Elle est capable de vous passer sous le nez sans même que vous l’aperceviez. Elle peut chanter. Elle peut danser. Elle peut hurler. Personne ne la verra jamais. L’instinct de survie ne s’éveillera pas à son approche. Les crocs ne se découvriront pas à sa vue. La haine ne naitra pas dans les cœurs au son de sa voix. Parce qu’Uchiki est frêle. Qu’Uchiki est faible. Qu’Uchiki est fragile. Sa présence n’a pas d’importance ; elle ne représente pas un danger.

On ne lui donna pas une carrure imposante. A quinze ans, elle a déjà atteint sa taille adulte, soit un mètre soixante-trois. Pour quarante-cinq kilos. Autrement dit, les formes, ce n’est pas vraiment son truc. Elle n’a pas appris à se battre et la seule esquisse de muscle lui vient de sa pratique de la médecine, où elle devait souvent déplacé, voir porté les victimes. Tous la reconnaissent comme étant très habile des mains. En effet, Uchiki a toujours aimé créer, construire et réparer. Elle peut faire d’une feuille blanche un magnifique cygne. D’un bout de tissu, une robe époustouflante. Et plus importante, d’une plaie ouverte, un simple souvenir. Elle n’a jamais vu le jour, contrairement aux hybrides Zéro, qu’elle envie d’ailleurs de tout son être. Elle montre donc une peau laiteuse, plus blanche que nature, qui n’est jamais rentrée en contact avec les rayons du soleil.

Le visage d’Uchiki n’a rien d’extraordinaire. Il n’a rien de plus que les autres. On la fit comme on inventa les autres ; parfaite pour un humain. Elle possède donc un visage ovale, sans aucun trait prononcé, qui a perdu depuis peu ses pommettes d’enfant. Un petit nez retroussé. Une bouche légèrement pulpeuse à la teinte si envoutante qu’elle ne peut être qu’artificielle. De grands yeux bleus, pareil à un ciel tumultueux, illuminant son visage d’une douceur dévorante. Et pour finir, lui entourant le visage, une chevelure tout droit sortie d’un rêve. Rose pâle. Génétiquement modifiée. Ne les aillant pas coupée depuis ses dix ans -sauf pour dégager son regard-, ils atteignent une longueur plutôt impressionnante. En dessous des fesses. C’est là que se termine son avalanche de soie. Aussi, pour ne pas avoir de problème, elle se les coiffe en deux longues tresses. Il est d’ailleurs très rare qu’elle se les détache.

Pour ce qui est du vestimentaire, Uchiki ne porte qu'occasionnellement des robes. Elle n'aime pas se dévoiler autant, cela rend la petite fille qu'elle est mal à l'aise. Si bien qu'on se demande presque si elle accepte son corps, ainsi que sa puberté. Pourtant, lorsqu'il s'agit d'une jupe, ou même d'un tee-shirt, il n'y a plus de problème pour ce qui est du court. Etrange, c'est vrai. Elle ne porte que du noir, du rose à la rigueur, pour pouvoir se fondre dans l'obscurité et, facultativement, contraster avec la couleur de ses cheveux. Elle a toujours au cou une lanière de cuir sombre, qu'elle possède depuis quelques temps maintenant. Cela a une valeur sentimentale ; c'est certainement la chose la plus précieuse qu'elle possède. Et elle ne le laissera pour rien au monde.

Innocente. Craintive. Inoffensive. Douce. Naïve. Patiente. Inconsciente. Maladroite. Rêveuse. Souriante. Curieuse. Bizarre. Surprenante. Fragile. Lunatique. Instable. Caractérielle. Fuyante. Blessée. Torturée. Troublée. Compliquée. Très compliquée. Trop compliquée.

Uchiki n’est pas une inu. Pas plus qu’elle n’est une femme. Non. Uchiki, c’est avant tout un sentiment. Une sensation. Elle est la lampe qui grésille avant de s’allumer. Les bruits de pas qui semblent se rapprocher sans pour autant nous atteindre. Elle est le parfum sucré qui flotte dans l’air. L’ombre mouvante sur les murs. La silhouette irréelle qui disparait au tournant d’un couloir. Elle est la douce mélodie que l’on perçoit le soir. Les cris qui retentissent au matin. Elle est l’eau. Elle est l’air. Elle est insaisissable. Indiscernable. Indéfinissable. Elle danse. Virevolte. Tourbillonne telle une feuille morte emportée par le vent. Elle fuit sans reculer. Parle silencieusement. Uchiki est un monde. Mais tout le monde n’est pas Uchiki.

« Uchiki, c'est le genre de fille qui a toujours un sourire aux lèvres, qui est souvent à côté de la plaque, qui ne finit pas toujours ses phrases, qui répond à vos questions par d'autres questions, qui perd souvent le fil de la conversation, qui aime se promener dans les couloirs, qui n'a toujours pas compris ce qu'elle faisait là, qui ne sait pas ce qu'est le danger, qui rêve d'un monde qu'elle ne touchera jamais, qui dessine les constellations sur les plafonds, qui chante avant de se coucher, qui s'observe dans la glace sans savoir que c'est son reflet, qui a horreur des chatouilles, qui penche la tête sur le côté quand quelque chose l'intrigue, qui ne peut s'empêcher de fixer les gens et surtout, qui ne peut survivre seule. Voilà l'Uchiki que je connais. Une enfant pure, chaste, dénuée de toutes pensées violentes. Elle est naïve. Mais pas stupide. Vraiment pas stupide. Elle possède une mémoire presque absolue, ainsi qu'une grande réflexion. Elle est, dans son innocence, bien plus intelligente qu'on ne pourrait le croire. Elle n'a pas l'ambition. L'instinct de survie. Le désir de plaire. Elle, elle voit les choses telles qu'elles le sont. Et c'est ça qui fait la différence. »

Scientifique. Simple connaissance.

« J'ai toujours vu Uchiki comme une personne différente. Comme un hybride unique. Je me souviens de ses sérénades du soir, celles qui me servaient de berceuses. Je me souviens de ses mots doux avant que je m'endorme. Je me souviens de sa main se faufilant entre les grillages pour caresser les cheveux. Je me souviens de ses attentions lorsqu'elle voyait que je n'allais pas bien. Je me souviens qu'elle donnait sans attendre en retour. Qu'elle pouvait m'adorer alors que je disais la détester. Je me souviens d'elle comme quelqu'un d'attentif, doux, presque maternel. Je me souviens qu'elle a toujours apprécié le silence. Le calme. Mais que, comme j'aimais l'entendre chanter, elle brisait tous les soirs la tranquillité des cages par sa voix enchanteresse. Non pas parce qu'elle aimait ça. Mais parce qu'elle m'aimait, moi. »
« On m'a toujours décrit Uchiki comme étant affectueuse, sage et paisible. Ce n'est pas l'impression que j'ai eu à notre première rencontre. Folle. C'est le mot qui m'est venu à l'esprit. Elle était complètement révoltée. Névrosée. Elle avait les cheveux en batailles. La robe déchirée. Des ongles arrachés. Le long de ses bras courraient de grandes plaies encore sanguinolentes. Elle avait fait une crise, me dirent-ils. Cela ne m'avait pas fait peur. Des hybrides fous, j'en rencontrais tous les jours. Pourtant, au moment même où elle posa ses yeux révulsés sur moi, je n'ai pu réprimer un frisson de terreur. Ce regard était perçant. Dévorant. Térébrant. Mais la lueur de souffrance qui y brillait ne portait qu'un nom. Celui de la beauté. Elle n'était pas cinglée, pas du tout. Elle avait juste fait l'erreur, pendant un court instant, de lever le voile de son innocence. D'affronter la dure réalité de sa situation. Voilà ce qui l'avait mis dans un tel état. »
« J’ai connu Uchiki quelques années après sa sortie de l’incubateur. Elle avait les yeux perdus dans le vide, le visage inexpressif et jouait lentement avec une mèche de cheveux. Je lui avais parlé. Elle ne m’avait pas répondu. J’ai tout d’abord pris cela pour du mépris, puis du désintérêt, avant de comprendre qu’elle ne vivait tout simplement pas dans le même monde que moi. Que son esprit était ailleurs. Qu’une fois rentrée, on ne pouvait pas la sortir de ses rêveries. Je me suis donc assis à côté d’elle et, à mon tour, j’ai pensé. Il est impressionnant de voir combien de choses j’ai réalisé en sa compagnie. Combien je me suis instruit à ses côtés. Son silence et sa présence m’étaient devenus précieux. Je regrette de ne plus les avoir. »